LETTRE D'INFORMATION
du 24 avril 2020
s.salembien@salembien-avocat.com
Le Covid 19, un moyen de ne pas payer ses
dettes ?
Nous vivons des moments, certes
privatifs de liberté, mais historiques.
Pour le juriste, ils soulèvent des
problématiques connues, mais rarement vécues avec une telle intensité, c’est le
cas de l’incidence de la pandémie et du confinement sur l’exécution de ses
contrats par l’entreprise.
Quels sont les outils juridiques
à la disposition du chef d’entreprise, lui permettant avec un possible succès de
suspendre ou mettre un terme à divers contrats commerciaux (baux, ventes,
accords de prestations de services, licences, accords de distribution, contrat
cadre annuel dans les relations industrie-commerce…) ?
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La force majeure
Les mots de « force majeure » ont été lâchés très
tôt par le gouvernement et n’ont pas manqué d’interpeller les dirigeants
d’entreprises, qui sont confrontés à une situation inédite et cherchent à
préserver leur activité et les emplois de leurs salariés.
Le sujet est alors de savoir si les
trois conditions requises, extériorité, imprévisibilité, irrésistibilité,
pour que ce concept puisse être actionné, sont réunies (article 1218 du Code
civil).
La situation de force majeure pouvant
être contractuellement aménagée ou écartée, l’examen de chaque contrat est un
préalable indispensable pour y répondre.
Dans le passé, les épidémies de Dengue,
Chikungunya, H1N1, n’ont pas été reconnues comme évènement de force majeure. Mais,
dans le cas du Covid 19 et des mesures de confinement qui ont été prises avec
l’arrêt partiel ou total de l’activité de nombreuses entreprises, à la
situation sanitaire s’ajoute le fait du Prince.
Les conditions d’extériorité et d’imprévisibilité
sont à priori réunies, aussi c’est essentiellement la preuve de
l’irrésistibilité qui fait débat, et qui implique d’établir que les circonstances
sont insurmontables et rendent impossible pour l’entreprise l’exécution de
ses obligations.
C’est une condition qui n’est pas
acquise du seul fait des évènements, et qui doit être examinée et documentée au
cas par cas, en fonction de la situation de chaque entreprise ainsi que des
engagements en cause.
Le cas d’une obligation rendue seulement
plus difficile à exécuter du fait de l’épidémie et du confinement ne répond pas
au critère d’irrésistibilité.
En outre, s’agissant de l’engagement
de payer une somme d’argent, il est jugé par principe que son débiteur ne peut s’exonérer
de cette obligation en invoquant la force majeure (Cour de cassation 16 septembre
2014).
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L’exception d’inexécution
L’entreprise ne peut-elle de
préférence refuser d’exécuter son obligation si son cocontractant n’exécute pas
la sienne ? C’est invoquer le moyen tiré de l’exception d’inexécution.
Par exemple, pour le locataire dont
le commerce est fermé, c’est opposer le défaut de mise à disposition des locaux
de la part du bailleur pour refuser de payer ses loyers.
Mais encore faut- il qu’il y ait
réellement une inexécution de la part du cocontractant, ce qui n’apparait
pas être le cas notamment du bailleur qui n’est pas à l’origine de cette fermeture.
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L’imprévision
Le débiteur ne pourrait-il alors se
prévaloir de la règle dite de l’imprévision ? Il s’agit d’invoquer un
changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, qui
rend son exécution actuelle excessivement onéreuse (article 1195 du Code civil).
Le débiteur peut ainsi se prévaloir d’un
bouleversement du contexte initial du contrat et demander à son cocontractant sa
renégociation, par exemple dans le cas d’une forte augmentation du cours d’une
matière première rendant plus onéreuse l’exécution d’un marché.
Ce mécanisme n’est envisageable que pour
les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 (date d’entrée en
vigueur de la réforme du droit des contrats qui introduit cette faculté refusée
auparavant ).
Encore faut-il que le contrat ne l’exclut
pas, cette règle étant supplétive.
Il n’est pas nécessaire ici que l’exécution
du contrat soit devenue compromise, mais qu’elle soit rendue excessivement onéreuse,
un simple surcoût n’est pas suffisant.
Toutefois, pendant le temps de cette
négociation ou tant que le juge, qui peut être saisi par l’une ou l’autre des parties,
ne s’est pas prononcé, le débiteur doit continuer à exécuter ses obligations,
ce qui est un inconvénient.
Il demeure
que l’exigence de bonne foi dans l’exécution des contrats (article 1104
du Code civil) impose au deux parties de rechercher une solution.
On le
voit, tous ces outils doivent être maniés avec précaution, et conduisent dans
ce contexte les parties à rechercher la négociation pour aménager le cas
échéant leurs accords.
Stéphane SALEMBIEN
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